Kokopelli, les guérilleros de la semence

Le Monde 2
4 août 2007

Kokopelli, les guérilleros de la semence

Ils résistent encore et toujours aux grands semenciers mondiaux. Les militants de l'association Kokopelli installée dans le Gard se sont donnés pour mission de défendre la biodiversité en mettant sur le marché un catalogue d'espèces rares ou oubliées. Une véritable provocation au regard de la loi actuelle, qui limite strictement la commercialisation de semences. Explication.

JP Gené

Christian Adam pour le Monde 2

Chez les Indiens Hopis au Nouveau-Mexique, Kokopelli est un personnage mythologique symbole de la fertilité et de la germination, représenté sous la forme d'un petit joueur de flûte bossu. Certains disent que sa bosse serait un sac de graines qu'il porte sur son dos. Il est aujourd'hui l'emblème d'une association fondée en 1999 qui s'est fixé comme objectif « la libération des semences et de l'numus ». Vaste programme qui conduit une poignée d'individus à mener une guérilla permanente en faveur de la liberté d'usage, de reproduction et de circulation des semences de variétés anciennes, dans le respect de la biodiversité plus que dans celui des lois.

Leur quartier général n'a pourtant rien d'un fort Chabrol : deux cubes anonymes parmi d'autres dans une « zone d'activité » des faubourgs d'Alès (Gard). Les armes sont soigneusement rangées à l'intérieur et classées en sachets aux noms étranges : Cucurbita fidfolia, pois boucoussou, Brassica napus, ronde verte à cœur plein, etc. Le catalogue Kokopelli présente en effet « une collection planétaire de 2 700 variétés et espèces principalement alimentaires » qui est une véritable provocation.
Ces semences d'origine sont toutes reproductibles alors que l'essentiel du marché est constitué d'hybrides Fi qui ne se ressèment pas et qu'il faut racheter chaque année chez le semencier. Kokopelli dénonce ce marché « captif » contrôlé par quelques-uns - Limagrain, Cargill, DuPont, Monsanto, Novartis, Syngenta - et où la France, second producteur mondial derrière les Etats-Unis, figure en bonne place. 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel pour une industrie semencière qui occupe 300 000 hectares et 26 ooo agriculteurs. A titre de comparaison, la recette de Kokopelli n'excède pas 800 000 euros...

Comme ces géants de l'agrobusiness, les gens d'Alès font commerce de semences dans ce monde impitoyable où le catalogue officiel a force de loi : seules les variétés qui y sont inscrites peuvent être vendues. Il existe un catalogue français dont la première version date de 1922 et un catalogue européen, synthèse de tous ceux des Etats membres de l'Union. Kokopelli a choisi de les ignorer. A l'origine ces dispositions étaient prises pour lutter contre la falsification et pour protéger les nouvelles obtentions végétales.
Il fallait un organisme de contrôle, le Groupement national interprofessionnel des semences (GNIS), qui fut créé sous Pétain - comme on ne manque pas de le souligner à Kokopelli. Le principal souci à l'époque était la qualité des semences de blé souvent aléatoire ou mensongère. Il revint au Comité technique permanent de la sélection (CTPS) d'y veiller en ces temps d'agriculture intensive, nécessaire au sortir de la guerre.

Le grand bouleversement intervient en 1981 avec le décret 81-605 précisant que « le ministre de l'acpculture tient un catalogue comportant la liste limitative des variétés ou types variétaux dont les semences ou plants peuvent être mis sur le marché national. l'inscription à ce catalogue est subordonnée à la triple condition que la variété soit distincte, stable et suffisamment homogène ». C'est ce texte, instituant un caractère « limitatif » et imposant la norme DHS (distinction, homogénéité, stabilité), que récuse Kokopelli au motif qu'il entraîne une inévitable érosion génétique et favorise la privatisation du vivant par une poignée de multinationales de l'agrobusiness.

Pour faire simple disons que beaucoup de variétés anciennes souvent capricieuses et ne répondant pas aux critères du catalogue officiel ont été délaissées au profit de quelques-unes qui ont engendré une multitude d'hybrides et de clones, donnant Fillusion de l'abondance mais à partir d'une base génétique restreinte. Toutes ces « variétés modernes » inscrites au catalogue sont naturellement brevetées et, selon Kokopelli, « cinq compagnies contrôlent aujourd'hui 75 % de la semence potagère au niveau mondial ».

Le GNIS objecte que le catalogue est garant de la qualité contrôlée des semences et explique que « la partie cultivée n'est que la partie émergée de la biodiversité ». Le
secteur professionnel conserve ainsi à grands frais des collections anciennes qui permettent à ses chercheurs de créer des variétés nouvelles : 3 244 entre 1975 et 2000. Ce sont pour la plupart des clones à la durée de vie limitée qui céderont la place à un petit frère du même sang, plus performant, plus résistant aux maladies, aussitôt breveté et homologué.

En refusant d'obéir au catalogue, Kokopelli proteste d'abord contre cette pratique qui interdit la libre diffusion des semences anciennes jugées non conformes mais permet de piocher librement dans ce patrimoine végétal pour en tirer des « variétés nouvelles captives » mises sur le marché au bénéfice des multinationales. Pour Dominique Guillet, le fondateur de Kokopelli, c'est tout simplement Y appropriation d'un bien vivant, commun à l'humanité, au profit de quelques-uns. La création en 1997 d'un registre annexe de « variétés anciennes pour jardiniers » réservées aux « amateurs » et interdites aux maraîchers s'est révélée une fausse bonne idée. Sous prétexte de veiller à la conservation, il se prépare actuellement à Bruxelles une directive qui limiterait l'usage de ces variétés à leur terroir d'origine et sur une surface restreinte (20 ha selon les premières propositions). Après la privatisation ce sera la muséification.

Tel est l'arrière-plan de la bataille qui oppose depuis 2004 Kokopelli au GNIS, partie civile dans le procès ouvert sur plainte de la DGCCRF pour « commerce de semences de variétés non conformes ». Relaxé en première instance devant le tribunal d'Alès, Dominique Guillet a été condamné à 17 130 euros (3 426 PV à 5 euros) d'amende en décembre 2006 par la cour d'appel de Nîmes. Kokopelli s'est pourvu en cassation. Un autre semencier, Philippe Baumaux, a également déposé plainte contre Kokopelli pour « concurrence déloyale » mais la date du procès n'est toujours pas fixée au tribunal de Nancy. Le petit joueur de flûte avec sa bosse dans le dos vous remercie de votre attention.

Association Kokopelli, Oasis, 131, impasse des palmiers, 30100 Alès Cedex.
tel 04 66 30 64 01 / 04 66 30 00 55 - email : semences@kokopelli.asso.fr
www.kokopelli.asso.fr
la septième édition du guide semences de kokopelli répertoriant 2700 variétés
est diponible à l'association pour 58 €.