Quand l'architecture imite la nature

SCIENCE & VIE n°98 JANVIER 2008
par Muriel Valin

A l'heure où l'environnement est une préoccupation majeure, architectes et ingénieurs questionnent de plus belle la faune et la flore pour exploiter leurs performances.
Que ce soit pour améliorer l'aération et l'isolation des bâtiments, la solidité des structures ou la qualité des matériaux, ce courant baptisé biomimétisme s'incarne dans d'étonnants édifices. Revue de détail.


A Barcelone, l'architecte Gaudi a construit les piliers de sa cathédrale, la Sagrada familia, en imitant des branches d'arbres.

Léonard de Vinci disait il y a cinq siècles : "Dans la nature, tout a toujours une raison. Si tu comprends cette raison, tu nas plus besoin de l'expérience."
Depuis, artistes et architectes, s'inspirant du vivant, ont livré des œuvres magistrales. A l'image de la Sagrada Familia, cette cathédrale barcelonaise inachevée du célèbre architecte Gaudi, où des colonnes, imitant des branches d'arbres ramifiées, portent le plafond de l'édifice. Il faut dire qu'en copiant le vivant, architectes et ingénieurs puisent à une source fertile d'inspiration esthétique et symbolique. Mais pas seulement. Ils y découvrent aussi une organisation de la matière et des formes qui dépasse, de loin, leurs propres capacités d'imagination et de calcul. Et pour cause : le vivant a mis des millions d'années pour optimiser son adaptation à l'environnement. Alors, pourquoi ne pas profiter de ce chemin parcouru pour y puiser des performances structurelles, morphologiques ou thermiques inédites ? Et, à l'heure où l'environnement est une préoccupation majeure, ce courant d'idée baptisé "le biomimétisme" n'a jamais été aussi vivace.
Pour Alexis Karolides, architecte et membre du Rocky Mountain Institute (Colorado), "le biomimétisme est devenu un allié incontournable car la nature a déjà relevé un grand nombre de défis durables avant nous : elle est capable de construire à grande échelle avec efficacité, elle sait économiser de Vénergie et de la matière, elle sait utiliser des ressources locales biodégradables. Sans oublier qu 'elle sait choisir des matériaux non toxiques ! "

A la hauteur de la source d'inspiration

Denise Deluca, membre de l'Institut sur le biomimétisme du Montana (Etats-Unis), abonde dans ce sens : "Avoir une approche biomimétique, c'est considérer que î'habitat, comme les organismes vivants, va pouvoir s'intégrer à l'environnement plutôt que de participer à sa destruction. C'est donc une vraie solution d'avenir pour réduire l'impact environnemental des constructions. " Reste à se demander si la transposition nature-architecture apporte toujours des avantages à la hauteur de la source d'inspiration. Car, derrière les projets en cours (voir pages suivantes), subsiste une interrogation : peut-on si facilement passer du microscopique dans la nature au gigantisme de certaines réalisations humaines ? La plupart des bureaux d'étude des architectes, équipés d'outils de modélisation puissants, répondent : oui ! Voilà qui promet au biomimétisme de nourrir de belles perspectives architecturales pour demain...

Aération et modèle de la termitière et de l'écorce

Grâce à un système de galeries qui assurent une très bonne ventilation, les termitières possèdent d'incroyables vertus thermiques : elles restent à température intérieure constante, quel que soit le niveau de chaleur à l'extérieur C'est en s'inspirant de ce modèle naturel que l'architecte Mick Pearce a conçu en 1996 "Eastgate", un bâtiment inédit à Harare (Zimbabwe) capable de se refroidir naturellement, sans aucune climatisation. Cet immeuble pionnier est aujourd'hui devenu l'emblème du biomimetisme architectural. L'année dernière, Pearce a renouvelé l'exploit en imitant, cette fois, la structure d'un arbre à Melbourne il a ainsi réussi à construire "CH2", un immeuble considéré aujourd'hui comme l'un des plus écologiques d'Australie.


L'écorce des arbres forme une carapace efficace contre le vent et le soleil. c'est en s'inspirant de cette idée que l'immeuble CH2 (Australie) a été construit avec des stores en bois sur sa façade ouest.

Imitant la structure d'une termitière, cet immeuble d'-Harare (Zimbabwe) est construit autour d'un patio et de 48 cheminées qui rafraîchissent l'air sans dépense énergétique.

Solidité : l'exemple du dinosaure et de l'éponge

La queue d'un diplodocus présente une solidité et une flexibilité remarquables. L'animal arrivait en effet à la dresser en l'air mais aussi à la claquer sur le sol comme un fouet Surprenant, quand on sait que cet appendice mesurait quasiment la moitié du corps du saurien (avoisinant 30 mètres de long) C'est en partant de cette structure biologique étonnante que le cabinet d'architectes Marks Barfield a imaginé le tracé du "pont du futur". Le résultat: un projet de pont en porte-à-faux qui pourrait, selon ses concepteurs, présenter des qualités structurelles dignes de la queue de l'animal.
Autre exemple d'imitation biologique: l'éponge de mer, Euplecteila. Sous un microscope, cet animal révèle d'admirables propriétés dont l'architecte Norman Poster s'est inspire pour ériger en 2004 l'impressionnante tour Swiss Re, à Londres, qui mesure 180 mètres de haut.



Derrière son aspect fragile, l'éponge de mer cache un squelette de fibres en treillis qui lui procurent une solidité et une stabilité hors norme. C'est justement cette structure que l'on retrouve sur la tour Swiss Re à Londres.

ISOLATION : la technique du nid d'oiseau

Comment réussir à bien protéger thermiquement l'intérieur d'un stade tout en laissant la lumière solaire pénétrer avec harmonie? En imitant par exemple la structure d'un nid d'oiseau. Le nouveau stade olympique de Pékin, réalisé par le cabinet Herzog et De Meuron, en est une éminente illustration : encerclé par 41875 tonnes de brindilles d'acier à la place des traditionnels branchages, il contient également des panneaux translucides de polymère (éthylène tétrafluoroéthylène) qui remplacent les plumes, mousses et boue isolant d'habitude l'intérieur des nids face au vent et à la pluie. Au final, ce stade se déploie en une structure étonnante de 69 mètres de haut et de 320 m de long. Verdict sur sa qualité thermique? Il est encore trop tôt pour le savoir, mais rendez-vous l'été prochain, quand 91000 spectateurs y seront assis pour les prochains jeux Olympiques.


Le nid d'oiseau laisse entrer la lumière, tout en filtrant le froid et le vent. Une structure idéale pour protéger les athlètes et les spectateurs dans le nouveau stade olympique de Pékin.

Matériaux : l'art de l'os, de la peau et du lotus

Franz-Joseph Ulm, chercheur en matériaux au Massachusetts Institute of Technology (MIT) a noté un point commun entre le ciment et le vivant : lors de la formation de nos os, des particules (apatites) s'assemblent en un complexe similaire à celui rencontré lors de la fabrication du ciment. Seule différence: pour le ciment, le procédé physico-chimique se produite 1450°C et émet de colossales quantités de CO2, alors que dans notre corps à 37 °C et ne rejette pas de CO2 . Le scientifique cherche donc à s'inspirer de ce dernier pour produire des bétons plus proprement.
Autre piste d'inspiration biomimétique pour le bâtiment la peau. L'idée est d'obtenir une bonne régulation thermique a moindre coût énergétique. Les organismes supérieurs, avec leur batterie de récepteurs et leur système nerveux central, ont une longueur d'avance en terme.
A l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, des chercheurs tentent ainsi de rendre les systèmes de régulation thermique des bâtiments plus intelligents. Troisième voie d'imitation explorée: la feuille de lotus, qui empêche l'eau d'adhérer à sa surface. Cette propriété étonnante a inspiré bon nombre d'ingénieurs, qui ont donne naissance à des peintures autonettoyantes sur lesquelles eau et salissures n'adhèrent pas.

Entre un os et du béton, la similitude ne saute pas aux yeux immédiatement. Pourtant, lors de leur formation, il se produit un procédé physico-chimique identique, à une différence près : chez le vivant, il est moins polluant.

Grâce à ses récepteurs, la peau se régule thermiquement. Elle est donc devenue un modèle pour la recherche sur la régulation automatique du chauffage ou de la luminosité. capteurs et algorithmes génériques s'apprêtent à investir nos maisons.

Pourquoi une goutte sur une feuille de lotus perle mais ne s'étale jamais ? Car des microrugosités l'empêchent d'adhérer. Cette propriété a été copiée, et on trouve aujourd'hui des peintures... autonettoyantes.